Par un arrêt du 21 avril 2022 (n° 21-12.240) Cour de cassation s’est prononcée sur les conditions de l’acquisition d’une servitude de vue par prescription trentenaire.
La création de vues sur les propriétés voisines est en effet règlementée par le code civil, lequel fixe des règles contraignantes aux fins notamment de limiter l’atteinte à l’intimité pouvant résulter de la création de vues, que ce soit par création d’ouvertures, leur modification, ou tous travaux ayant pour effet de permettre des vues sur les fonds contigus (création d’une terrasse par exemple).
La notion de vue peut être définie comme une ouverture, non fermée ou pourvue de fenêtre pouvant s’ouvrir, laissant passer l’air et permettre d’apercevoir le fonds voisin.
Elle est à distinguer du « jour », qui ne laisse passer que la lumière sans permettre d’apercevoir quoi que ce soit, ce qui suppose que l’installation présente un caractère de fixité définitif.
* Ainsi, l’article 675 du code civil prévoit d’abord que « L'un des voisins ne peut, sans le consentement de l'autre, pratiquer dans le mur mitoyen aucune fenêtre ou ouverture, en quelque manière que ce soit, même à verre dormant ».
Précision étant faite que le verre dormant correspond à une fenêtre qui ne peut pas s’ouvrir, ce texte concerne une hypothèse particulière, celle du mur mitoyen, à savoir celui situé sur la limite séparative de deux fonds et appartenant de manière indivise à chacun des voisins.
* L’article 676 du code civil concerne une hypothèse proche, un mur situé en limite de propriété, mais avec une nuance majeure : celui-ci n’est pas mitoyen en ce qu’il appartient de manière privative à celui qui souhaite y aménager une ouverture.
Ce texte prévoit ainsi que « Le propriétaire d'un mur non mitoyen, joignant immédiatement l'héritage d'autrui, peut pratiquer dans ce mur des jours ou fenêtres à fer maillé et verre dormant.
Ces fenêtres doivent être garnies d'un treillis de fer dont les mailles auront un décimètre (environ trois pouces huit lignes) d'ouverture au plus et d'un châssis à verre dormant ».
L’article 677 du même code ajoute que :« Ces fenêtres ou jours ne peuvent être établis qu'à vingt-six décimètres (huit pieds) au-dessus du plancher ou sol de la chambre qu'on veut éclairer, si c'est à rez-de-chaussée, et à dix-neuf décimètres (six pieds) au-dessus du plancher pour les étages supérieurs ».
La limite ainsi apportée est moins contraignante que lorsqu’il s’agit d’un mur mitoyen, et permet donc l’aménagement d’une ouverture qui apportera du jour sans permettre de vues chez le voisin.
* L’article 678 du code civil concerne une hypothèse plus fréquente : Celle de la création de vues depuis un bâtiment ou un mur qui n’est pas situé en limite de propriété.
Ce texte dispose qu’ : « On ne peut avoir des vues droites ou fenêtres d'aspect, ni balcons ou autres semblables saillies sur l'héritage clos ou non clos de son voisin, s'il n'y a dix-neuf décimètres de distance entre le mur où on les pratique et ledit héritage, à moins que le fonds ou la partie du fonds sur lequel s'exerce la vue ne soit déjà grevé, au profit du fonds qui en bénéficie, d'une servitude de passage faisant obstacle à l'édification de constructions ».
Autrement dit, dès lors que la limite de propriété est située à plus d’1m90, on est libre de créer des vues sans contraintes ; il est même possible d’en créer à une distance inferieure si la personne souhaitant créer une vue bénéficie d’une servitude de passage sur le fonds voisin au niveau de la vue créée : l’assiette de la servitude est dans ce cas prise en considération pour le calcul de la distance exigée par le code civil.
* Un autre aménagement est prévu par le code civil relativement à la création de vues obliques, l’article 679 indiquant que : « On ne peut, sous la même réserve, avoir des vues par côté ou obliques sur le même héritage, s'il n'y a six décimètres de distance », la vue oblique étant celle qui, pour être exercée, suppose de tourner la tête : la distance de 60cm ici imposée est bien moins contraignante qu’en matière de vues droites.
Dans tous les cas, l’article 680 du code civil apporte la précision pratique suivante : « La distance dont il est parlé dans les deux articles précédents se compte depuis le parement extérieur du mur où l'ouverture se fait, et, s'il y a balcons ou autres semblables saillies, depuis leur ligne extérieure jusqu'à la ligne de séparation des deux propriétés ».
La sanction de la création irrégulière de vues consiste en la démolition, l’aménagement ou le déplacement.
Cela étant précisé il est bien acquis qu’une telle servitude de vue peut s’acquérir par prescription trentenaire.
Rappelons qu’en vertu de l'article 2258 du code civil la prescription acquisitive correspond à « un moyen d'acquérir un bien ou un droit par l'effet de la possession sans que celui qui l'allègue soit obligé d'en rapporter un titre ou qu'on puisse lui opposer l'exception déduite de la mauvaise foi ».
Autrement dit, si une servitude de vue illégale ne respectant pas les principes définis ci-avant est créée et qu’aucune contestation n’est opposée pendant 30 ans, elle acquiert une existence légale et ne peut plus être remise en question.
Cela a notamment été jugé dès 1982 (voir un arrêt de la cour de cassation du 3 mars 1982, n° 81-10.127).
Toutefois, il était bien mois certain que la prescription pouvait résulter de travaux irréguliers.
C’est ici qu’intervient l’arrêt de la cour de cassation du 21 avril 2022, la réponse de la cour sur ce point étant très claire : « l'absence de déclaration préalable d'urbanisme et le défaut d'autorisation des travaux de percement par l'assemblée générale des copropriétaires ne font pas obstacle à l'acquisition d'une servitude de vue par prescription ».
En l’occurrence, le copropriétaire concerné avait, sans la moindre autorisation, créé il y a plus de 30 ans, dans le mur extérieur (partie commune) de l’immeuble en copropriété, diverses ouvertures ainsi qu’une terrasse en contravention avec les dispositions des articles 675 à 678 du code civil.
Il n’avait obtenu ni autorisation d’urbanisme, ni autorisation de l’assemblée générale des copropriétaires.
La cour d’appel avait condamné cette personne, in solidum avec le syndicat des copropriétaires, à fermer les ouvertures, à supprimer tout empiétement sur le fonds voisin, à restituer aux lieux leur état initial et à payer au syndicat voisin une certaine somme à titre de dommages-intérêts.
Un pourvoi ayant été formé, la cour de cassation a jugé ce qui suit :
« Vu l'article 690 du code civil :
Selon ce texte, les servitudes continues et apparentes s'acquièrent par titre, ou par la possession de trente ans.
Une servitude de vue constitue une servitude continue et apparente qui existe du fait-même de la présence de l'ouverture donnant sur l'héritage d'autrui et dont la possession subsiste tant qu'elle n'est pas matériellement contredite.
Pour condamner M. [B] à fermer les ouvertures, l'arrêt énonce que nul ne peut prescrire en vertu d'une possession s'établissant sur des actes illicites ou irréguliers et retient que les vues droites et directes sur la résidence Le Soleil ont été percées dans le mur appartenant à la résidence Port des sables sans son accord et sans déclaration en application des dispositions de l'article R. 421-17 du code de l'urbanisme, de sorte que la possession invoquée par M. [B] s'est établie sur des actes irréguliers.
En statuant ainsi, alors que l'absence de déclaration préalable d'urbanisme et le défaut d'autorisation des travaux de percement par l'assemblée générale des copropriétaires ne font pas obstacle à l'acquisition d'une servitude de vue par prescription, la cour d'appel a violé le texte susvisé ».
Dès lors, il est maintenant acquis que la création de vues par des travaux soumis à autorisation d‘urbanisme peut bénéficier de la prescription même si ladite autorisation n’a pas été obtenue et qu’en conséquence les travaux litigieux constituent une infraction pénale.