Victor de Chanville

Avocat au Barreau de Marseille

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Modification irrégulière du délai d'instruction du permis de construire et autorisation tacite


Catégorie : Divers

Le Conseil d'Etat s'est prononcé sur la question de savoir si la prolongation irrégulière du délai d'instruction d'une demande d'autorisation d'urbanisme peut conduire à la naissance d'une autorisation tacite.

 

 

          Rappelons tout d'abord le cadre législatif et réglementaire.

 

Aux termes de l'article L. 423-1 du code de l'urbanisme dans sa rédaction issue de la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique : Les demandes de permis de construire, d'aménager ou de démolir et les déclarations préalables sont présentées et instruites dans les conditions et délais fixés par décret en Conseil d'État.

 

Le dossier joint à ces demandes et déclarations ne peut comprendre que les pièces nécessaires à la vérification du respect du droit de l'Union européenne, des règles relatives à l'utilisation des sols et à l'implantation, à la destination, à la nature, à l'architecture, aux dimensions et à l'assainissement des constructions et à l'aménagement de leurs abords ainsi que des dispositions relatives à la salubrité ou à la sécurité publique ou relevant d'une autre législation dans les cas prévus par le code de l'urbanisme.

Aucune prolongation du délai d'instruction n'est possible en dehors des cas et conditions prévus par ce décret.

 

L'article R. 423-38 dispose que : Lorsque le dossier ne comprend pas les pièces exigées en application du [livre IV de la partie réglementaire du code relatif au régime applicable aux constructions, aménagements et démolitions], l'autorité compétente, dans le délai d'un mois à compter de la réception ou du dépôt du dossier à la mairie, adresse au demandeur ou à l'auteur de la déclaration une lettre recommandée avec demande d'avis de réception (...) indiquant, de façon exhaustive, les pièces manquantes.

 

Aux termes de l'article R. 423-39 : L'envoi prévu à l'article R. 423-38 précise : / a) Que les pièces manquantes doivent être adressées à la mairie dans le délai de trois mois à compter de sa réception ; / b) Qu'à défaut de production de l'ensemble des pièces manquantes dans ce délai, la demande fera l'objet d'une décision tacite de rejet en cas de demande de permis ou d'une décision tacite d'opposition en cas de déclaration ; / c) Que le délai d'instruction commencera à courir à compter de la réception des pièces manquantes par la mairie.

 

Aux termes de l'article R. 423-41 du même code dans sa rédaction issue du décret du 21 mai 2019 modifiant diverses dispositions du code de l'urbanisme pris pour l'application de la loi du 23 novembre 2018 : Une demande de production de pièce manquante notifiée après la fin du délai d'un mois prévu à l'article R*423-38 ou ne portant pas sur l'une des pièces énumérées par le présent code n'a pas pour effet de modifier les délais d'instruction définis aux articles R*423-23 à R*423-37-1 et notifiés dans les conditions prévues par les articles R*423-42 à R*423-49.

 

Enfin, l'article R. 424-1 du même code prévoit qu'à défaut de notification d'une décision expresse dans le délai d'instruction, déterminé comme il vient d'être dit, le silence gardé par l'autorité compétente vaut décision de non-opposition à la déclaration préalable.

 

 

          S'agissant de la jurisprudence, le Conseil d'Etat a eu l'occasion de juger dans le cadre d'un arrêt du 09/12/2022 (n° 454521) que :

 

« Il résulte de ces dispositions qu'à l'expiration du délai d'instruction tel qu'il résulte de l'application des dispositions du chapitre III du titre II du livre IV du code de l'urbanisme relatives à l'instruction des déclarations préalables, des demandes de permis de construire, d'aménager ou de démolir, naît une décision de non-opposition à déclaration préalable ou un permis tacite. En application de ces dispositions, le délai d'instruction n'est ni interrompu, ni modifié par une demande, illégale, tendant à compléter le dossier par une pièce qui n'est pas exigée en application du livre IV de la partie réglementaire du code de l'urbanisme. Dans ce cas, une décision de non-opposition à déclaration préalable ou un permis tacite naît à l'expiration du délai d'instruction, sans qu'une telle demande puisse y faire obstacle ».

 

Il a ensuite appliqué le principe de la manière suivante :

 

« Pour estimer qu'il existait un doute sérieux quant à la légalité des décisions attaquées, le juge des référés du tribunal administratif de Nantes a relevé que la pièce complémentaire demandée par la commune au cours de l'instruction de la déclaration préalable n'était pas au nombre des pièces exigées par le code de l'urbanisme et que cette demande n'avait pu légalement proroger le délai d'instruction.

Il en a déduit que la société devait être regardée comme titulaire d'une décision implicite de non-opposition à déclaration préalable acquise à l'expiration du délai d'instruction, que la décision attaquée a eu pour objet de retirer sans respecter la procédure contradictoire préalable prévue à l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration, et en méconnaissance des dispositions de l'article 222 de la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique qui interdisent, jusqu'au 31 décembre 2022, de retirer les décisions d'urbanisme autorisant ou ne s'opposant pas à l'implantation d'antennes de radiotéléphonie mobile avec leurs systèmes d'accroche et leurs locaux et installations techniques.

Il résulte de ce qui a été dit qu'en statuant ainsi, il n'a pas commis d'erreur de droit ».

 

 

          Le Conseil d'Etat s'est à nouveau prononcé sur la question, de manière plus approfondie, par une décision du 24/10/2023 (n° 462511).

 

Après avoir rappelé les règles applicables, il a proposé un nouveau considérant de principe un peu différent de celui du 1er arrêt cité, distinguant deux hypothèses d'irrégularité de la demande de pièces complémentaires n'entraînant pas de prorogation du délai :

  • la modification du délai d'instruction notifiée après l'expiration du délai d'un mois prévu par le code de l'urbanisme,

  • la modification du délai d'instruction qui, bien que notifiée dans ce délai, ne serait pas motivée par l'une des hypothèses de majoration prévues par le code de l'urbanisme.

 

L'arrêt indique en ce sens :

 

« Il résulte de ces dispositions qu'à l'expiration du délai d'instruction tel qu'il résulte de l'application des dispositions du chapitre III du titre II du livre IV du code de l'urbanisme relatives à l'instruction des déclarations préalables, des demandes de permis de construire, d'aménager ou de démolir, naît une décision de non-opposition à déclaration préalable ou un permis tacite. Une modification du délai d'instruction notifiée après l'expiration du délai d'un mois prévu à l'article R*423-18 de ce code ou qui, bien que notifiée dans ce délai, ne serait pas motivée par l'une des hypothèses de majoration prévues aux articles R*423-24 à R*423-33 du même code, n'a pas pour effet de modifier le délai d'instruction de droit commun à l'issue duquel naît un permis tacite ou une décision de non-opposition à déclaration préalable. S'il appartient à l'autorité compétente, le cas échéant, d'établir qu'elle a procédé à la consultation ou mis en œuvre la procédure ayant motivé la prolongation du délai d'instruction, le bien-fondé de cette prolongation est sans incidence sur la légalité de la décision attaquée ».

 

Un autre apport notable résultant de la dernière phrase du considérant consiste à estimer que le bien-fondé de cette prolongation est sans incidence sur la légalité de la décision attaquée – à partir du moment où la prolongation intervient dans l'une des deux hypothèses évoquées ci-avant bien entendu.

 

 

L'administration devra donc être vigilante sur le respect de ces conditions et, par conséquent, rigoureuse dans le cadre des demandes de pièces complémentaires en cours d'instruction.

 

 

Victor de Chanville

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