La loi climat et résilience du 22 août 2021, issue des travaux de la Convention citoyenne pour le climat, a pour objet la lutte contre le dérèglement climatique et le renforcement de la résilience ; selon le gouvernement, « cette loi ancre l’écologie dans notre société : dans nos services publics, dans l’éducation de nos enfants, dans notre urbanisme, dans nos déplacements, dans nos modes de consommation, dans notre justice » : un programme copieux.
Ce texte est censé concerner l'ensemble des domaines de la vie quotidienne : consommation, logement, déplacements tout en étant présentée comme la « plus grande loi écologique du quinquennat » 2022-2027 ; elle a pour vocation d'accélérer la transition écologique dans tous les domaines du quotidien.
Ses mesures les plus emblématiques sont les suivantes :
* Mieux isoler les logements :
- Première mesure : gel du loyer des passoires énergétiques :
Dès 2023, les propriétaires de passoires thermiques seront obligés de réaliser des travaux de rénovation énergétique s’ils souhaitent augmenter le loyer de leur logement en location.
- Seconde mesure : interdiction de mettre en location les logements mal isolés : les étiquettes G à compter de 2025, les F en 2028 et les E en 2034 ; les logements en cause seront ainsi progressivement considérés comme indécents au regard de la loi, le locataire pouvant par conséquent exiger de son propriétaire qu’il effectue des travaux de nature à améliorer l'isolation.
* Réduire la pollution des villes :
- Exclusion des voitures les plus polluantes à l'intérieur des centres-villes dans les grandes agglomérations, l’ensemble des agglomérations de plus de 150 000 habitants devant mettre en place une zone à faibles émissions (ZFE-m). En outre, dans les dix métropoles enregistrant des dépassements réguliers des valeurs limites de qualité de l’air, des interdictions de circulation pour les véhicules Crit’air 5 en 2023, Crit’air 4 en 2024 et Crit’Air 3 en 2025 sont prévues.
- Mesures divers en vue de réduire le nombre de véhicules polluants : prêt à taux zéro à partir de 2023 pour les ménages les plus modestes qui vivent dans des zones à faibles émissions et souhaiteraient changer de véhicule, fin de vente des véhicules émettant plus de 95 gCO2/km en 2030, élargissement de la prime à la conversion aux vélos à assistance électrique.
* Favoriser le train au détriment de l'avion par l'interdiction des vols domestiques en cas d'alternative en train de moins de 2h30 et la compensation carbone obligatoire de tous les vols domestiques d'ici 2024.
* Favoriser le caractère durable de l'alimentation par la mise en place d'un menu végétarien quotidien dans les cantines de l'État et des universités proposant plusieurs menus.
* Mieux informer les citoyens par l'affirmation du rôle fondamental de l’éducation au développement durable du primaire au lycée (activités de sensibilisation à l’environnement), création d’une « étiquette environnementale » afin d'afficher l’impact, notamment sur le climat, des produits de consommation (précision étant faite qu'à l’issue d'une phase d’expérimentation, l’affichage de l’impact sur l’environnement, en particulier sur le climat, des produits et services deviendra uniformisé et obligatoire).
* Un meilleur encadrement de la publicité : faculté pour le maire de réglementer les dispositifs publicitaires lumineux en vitrine, mesures en vue de limiter la diffusion de prospectus dans les boites aux lettres, fin de la publicité pour les énergies fossiles, inscription obligatoire de l’impact climatique sur les publicités.
* Une réduction des emballages.
* un soutien aux énergies renouvelables.
* Le renforcement de la protection judiciaire de l'environnement :
- Création d’un délit (infraction pénale) de mise en danger de l’environnement consistant à exposer l’environnement à un risque de dégradation durable de la faune, de la flore ou de l’eau en violant une obligation de sécurité ou de prudence ; ce délit pourra être sanctionné de 3 ans de prison et 250 000 € d’amende. Il est notable que contrairement au délit général de pollution, les sanctions pourront s’appliquer si le comportement est dangereux et que la pollution n’a pas eu lieu.
- Création d'un délit général de pollution des milieux (flore, faune et qualité de l’air, du sol ou de l’eau) et d'un délit d’écocide pour les cas les plus graves : les atteintes les plus graves commises intentionnellement à l’environnement seront passibles d’une peine maximale de 10 ans de prison et 4,5 millions d’euros d’amende (22,5 millions d’euros pour les personnes morales), voire une amende allant jusqu’à dix fois le bénéfice obtenu par l’auteur du dommage commis à l’environnement.
* La réduction de la bétonisation des terres :
- Interdiction d’implanter de nouveaux centres commerciaux sur des sols naturels ou agricoles.
- Contrôle et réduction du rythme d’artificialisation des sols, lequel doit être divisé par deux d’ici 2030 et le zéro artificialisation nette (ZAN) devant être atteint d’ici 2050 dans le cadre de cette mesure ayant vocation à être appliquée par l’ensemble des collectivités territoriales.
C'est ce dernier objectif de réduction de l'artificialisation des terres qui nous intéresse particulièrement dans le cadre du présent article.
A ce sujet, la loi climat et résilience du 22 août 2021 a prévu un double objectif :
d'une part, la réduction pour moitié du rythme d'artificialisation nouvelle entre 2021 et 2031 par rapport à la décennie précédente,
d'autre part, atteindre d'ici à 2050 une artificialisation nette de 0% (ZAN), c'est-à-dire au moins autant de surfaces "renaturées" que de surfaces artificialisées.
Cette loi se rapporte donc à la notion d'artificialisation, déjà évoquée dans le cadre de la loi « pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages » du 9 août 2016, du fait de son rôle prépondérant dans le déclin de la biodiversité.
Ensuite, un plan national de biodiversité a été adopté le 4 juillet 2018 avec notamment pour objectif de limiter la consommation d'espaces naturels, agricoles et forestiers aux fins d'atteindre à terme un objectif de « zéro artificialisation nette » (ZAN).
L'article L 101-2 du code de l'urbanisme avait dans ce contexte été modifié pour prévoir désormais la « lutte contre l'étalement urbain » dans les principes généraux qu'il énonce :
« Dans le respect des objectifs du développement durable, l'action des collectivités publiques en matière d'urbanisme vise à atteindre les objectifs suivants :
1° L'équilibre entre :
a) Les populations résidant dans les zones urbaines et rurales ;
b) Le renouvellement urbain, le développement urbain et rural maîtrisé, la restructuration des espaces urbanisés, la revitalisation des centres urbains et ruraux, la lutte contre l'étalement urbain ;
c) Une utilisation économe des espaces naturels, la préservation des espaces affectés aux activités agricoles et forestières et la protection des sites, des milieux et paysages naturels ;
d) La sauvegarde des ensembles urbains et la protection, la conservation et la restauration du patrimoine culturel ;
e) Les besoins en matière de mobilité ».
Il consacre par surcroît en son alinéa 6 bis l'objectif « la lutte contre l'artificialisation des sols, avec un objectif d'absence d'artificialisation nette à terme », sans toutefois reprendre les échéances précises fixées par la loi.
L'article L 101-2-1 du code de l'urbanisme explique que :
« L'atteinte des objectifs mentionnés au 6° bis de l'article L. 101-2 résulte de l'équilibre entre :
1° La maîtrise de l'étalement urbain ;
2° Le renouvellement urbain ;
3° L'optimisation de la densité des espaces urbanisés ;
4° La qualité urbaine ;
5° La préservation et la restauration de la biodiversité et de la nature en ville ;
6° La protection des sols des espaces naturels, agricoles et forestiers ;
7° La renaturation des sols artificialisés ».
Il fournit en outre la définition de certaines notions, en particulier l'artificialisation des sols (définition assez extensive au demeurant) :
« L'artificialisation est définie comme l'altération durable de tout ou partie des fonctions écologiques d'un sol, en particulier de ses fonctions biologiques, hydriques et climatiques, ainsi que de son potentiel agronomique par son occupation ou son usage.
La renaturation d'un sol, ou désartificialisation, consiste en des actions ou des opérations de restauration ou d'amélioration de la fonctionnalité d'un sol, ayant pour effet de transformer un sol artificialisé en un sol non artificialisé.
L'artificialisation nette des sols est définie comme le solde de l'artificialisation et de la renaturation des sols constatées sur un périmètre et sur une période donnés ».
Il précise enfin la manière d'évaluer et de fixer les objectifs de réduction de l'artificialisation des sols dans les documents d'urbanisme (les PLU et PLUi en particulier) :
« Au sein des documents de planification et d'urbanisme, lorsque la loi ou le règlement prévoit des objectifs de réduction de l'artificialisation des sols ou de son rythme, ces objectifs sont fixés et évalués en considérant comme :
a) Artificialisée une surface dont les sols sont soit imperméabilisés en raison du bâti ou d'un revêtement, soit stabilisés et compactés, soit constitués de matériaux composites ;
b) Non artificialisée une surface soit naturelle, nue ou couverte d'eau, soit végétalisée, constituant un habitat naturel ou utilisée à usage de cultures.
Un décret en Conseil d'Etat fixe les conditions d'application du présent article. Il établit notamment une nomenclature des sols artificialisés ainsi que l'échelle à laquelle l'artificialisation des sols doit être appréciée dans les documents de planification et d'urbanisme ».
Notons que la loi « climat et résilience » a instauré une dérogation relative aux espaces naturels ou agricoles occupés par une installation de production d’énergie photovoltaïque : les espaces en cause ne seront pas comptabilisés dans le calcul de la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers – uniquement pour la première tranche de dix années – de l’objectif de réduction du rythme de l’artificialisation des sols, deux conditions devant néanmoins être réunies :
- d'une part, les modalités de cette installation doivent permettre qu’elle n’affecte pas durablement les fonctions écologiques du sol (« en particulier ses fonctions biologiques, hydriques et climatiques »), ainsi que son potentiel agronomique ;
- d'autre part, l’ installation de production d’énergie photovoltaïque ne doit pas être incompatible avec l’exercice d’une activité agricole ou pastorale sur le terrain où elle est implantée si la vocation de celui-ci est agricole.
La loi met par ailleurs à la charge des maires et les présidents d'établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) couverts par un document d'urbanisme (plan local d'urbanisme intercomunal ou PLUi) l'obligation d'établir un rapport local de suivi de l'artificialisation des sols, présenté au moins une fois tous les trois ans au conseil municipal ou à l'assemblée délibérante et devant donner lieu à un débat suivi d'un vote et d'une publication.
Ce rapport doit indiquer dans quelle mesure les objectifs de lutte contre l'artificialisation des sols ont atteints les années précédentes.
C'est une manière d'intégrer l'objectif ZAN dans les priorités des collectivités territoriales.
Le décret n° 2022-763 du 29 avril 2022 relatif à la nomenclature de l'artificialisation des sols pour la fixation et le suivi des objectifs dans les documents de planification et d'urbanisme, fixe les conditions et modalités d'application du nouvel article L. 101-2-1 du code de l'urbanisme en insérant un article R. 101-1.
Ainsi, l'article R 101-1 du code de l'urbanisme vient d'abord préciser le champ d'application des objectifs en indiquant que « les objectifs de lutte contre l'artificialisation des sols fixés dans les documents de planification et d'urbanisme portent sur les surfaces terrestres jusqu'à la limite haute du rivage de la mer ».
Il indique, et cela est notable, que le classement des surfaces « est effectué selon l'occupation effective du sol observée, et non selon les zones ou secteurs délimités par les documents de planification et d'urbanisme ».
Une nomenclature est annexée, classant les surfaces par catégories, le solde entre les surfaces artificialisées et les surfaces désartificialisées étant évalué au regard desdites catégories.
Cette nomenclature définit en premier lieu les espaces relevant des surfaces artificialisées :
« 1° Surfaces dont les sols sont imperméabilisés en raison du bâti (constructions, aménagements, ouvrages ou installations).
2° Surfaces dont les sols sont imperméabilisés en raison d'un revêtement (artificiel, asphalté, bétonné, couvert de pavés ou de dalles).
3° Surfaces partiellement ou totalement perméables dont les sols sont stabilisés et compactés ou recouverts de matériaux minéraux.
4° Surfaces partiellement ou totalement perméables dont les sols sont constitués de matériaux composites (couverture hétérogène et artificielle avec un mélange de matériaux non minéraux).
5° Surfaces à usage résidentiel, de production secondaire ou tertiaire, ou d'infrastructures notamment de transport ou de logistique, dont les sols sont couverts par une végétation herbacée, y compris si ces surfaces sont en chantier ou sont en état d'abandon. »
Elle énumère en second lieu les surfaces non artificialisées :
« 6° Surfaces naturelles qui sont soit nues (sables, galets, rochers, pierres ou tout autre matériau minéral, y compris les surfaces d'activités extractives de matériaux en exploitation) soit couvertes en permanence d'eau, de neige ou de glace.
7° Surfaces à usage de cultures, qui sont végétalisées (agriculture, sylviculture) ou en eau (pêche, aquaculture, saliculture).
8° Surfaces naturelles ou végétalisées constituant un habitat naturel, qui n'entrent pas dans les catégories 5°, 6° et 7°. »
Notons qu'un second décret (n° 2022-762) a été promulgué le 29 avril 2022 et se rapporte aux objectifs et aux règles générales en matière de gestion économe de l'espace et de lutte contre l'artificialisation des sols du schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET), aux fins de fixer les modalités de la déclinaison infrarégionale des objectifs d'atteinte du ZAN.
La mise en œuvre des objectifs du ZAN ne va pas être simple et va entraîner de nouvelles pratiques en matière de planification et d’aménagement, impliquant d'évoluer d’une logique de développement urbain par extension et consommation de terres naturelles ou agricoles, à une logique de renouvellement et densification des terrains déjà urbanisés, le tout en déjouant diverses difficultés d'ordre pratiques et juridiques.
L’artificialisation des sols est maintenant devenue un enjeu majeur de politique publique.
Au niveau du calendrier de mise en œuvre, nous pouvons noter :
- 2024 : traduction par les régions de l'objectif de réduction de 50% de la consommation d'espace,
- 2026 : territorialisation des objectifs régionaux dans les SCOT,
- 2027 : application locale des objectifs dans les règlements des PLU et PLUi.
Il va donc être intéressant de suivre l'évolution de la mise en œuvre des principes consacrés, en l'état en outre de certaines contestations élevées au niveau local sur les difficultés d'application des textes et leurs conséquences pour les collectivités territoriales.
Il est d'ailleurs tout à fait possible que des évolutions interviennent dans l'objectif de faciliter l’application de la loi, d'ailleurs explicitement envisagées par le gouvernement.
Victor de Chanville
Avocat à Aubagne