En droit de l'urbanisme, constitue un lotissement la division en propriété ou en jouissance d'une unité foncière ou de plusieurs unités foncières contiguës ayant pour objet de créer un ou plusieurs lots destinés à être bâtis (article L 442-1 du code de l'urbanisme).
Le lotissement existe dès le détachement d'un seul lot pour bâtir : il existe ainsi diverses formes de lotissements.
Ceux qui nous intéressent dans le présent article sont d'une plus grande importance ; ils doivent être autorisés par un permis d'aménager dans la mesure où ils comportent des voies, espaces ou équipements communs à plusieurs lots destinés à être bâtis et propres au lotissement (article R 421-29 du code de l'urbanisme).
Le dossier de lotissement est composé d'un certain nombre de documents dont, bien entendu, un plan des lots et éventuels espaces communs.
Il comporte également deux pièces particulières et à l'origine d'un abondant contentieux : le règlement et le cahier des charges.
Le règlement du lotissement édicte des règles d’urbanismes, dont la valeur réglementaire est reconnue (et par suite leur opposabilité aux demandes d’autorisation d’urbanisme ultérieurement déposées sur des lots) si ce document a fait l'objet d'une approbation par l’autorité compétente (dans le cadre de l’instruction de la demande d’autorisation du lotissement) ; les règles en question diffèrent en général de celles du plan local d’urbanisme tout en restant compatibles avec celui-ci (donc en pratique elles ne peuvent être que plus strictes).
Le cahier des charges, annexé aux actes notariés d’acquisition des différents lots et donc publié au service de publicité foncière, contient de son côté des règles de nature privée, à valeur contractuelle (et de nature très variée, allant par exemple des conditions d’utilisation des espaces communs aux obligations de débroussaillement, en passant par les règles d’hygiène à respecter), mais en pratique il renferme souvent de véritables règles d’urbanisme, présentant un caractère réglementaire si le cahier des charges a été approuvé par l’autorité compétente.
Il est notable que l'opposabilité des règles d'urbanisme contenues dans ces documents n'est pas éternelle compte tenu de leur caducité prévue par le code de l'urbanisme, dont l’article L 442-9 du code de l’urbanisme dispose, notamment, que :
« Les règles d’urbanisme contenues dans les documents du lotissement, notamment le règlement, le cahier des charges s’il a été approuvé ou les clauses de nature réglementaire du cahier des charges s’il n’a pas été approuvé, deviennent caduques au terme de dix années à compter de la délivrance de l’autorisation de lotir si, à cette date, le lotissement est couvert par un plan local d’urbanisme ou un document d’urbanisme en tenant lieu.
De même, lorsqu’une majorité de colotis a demandé le maintien de ces règles, elles cessent de s’appliquer immédiatement si le lotissement est couvert par un plan local d’urbanisme ou un document d’urbanisme en tenant lieu, dès l’entrée en vigueur de la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové ».
En conséquence de cette caducité, lors du dépôt d’une demande de permis de construire, le service instructeur ne pourra pas opposer au pétitionnaire les règles d’urbanisme contenues dans les documents du lotissement (relatives par exemple à l’apparence des constructions, aux clôtures, aux distances à respecter, à l’emprise au sol etc) et refuser de délivrer l’autorisation au motif de l'application des règles concernées
Par suite, l’auteur de la demande aura la faculté de réaliser un projet plus conséquent que ce qui aurait pu être autorisé sur la base des règles du lotissement, la régularité et donc la faisabilité du projet étant dans une telle hypothèse appréciées strictement en considération des règles du plan local d’urbanisme et du code de l’urbanisme et non au regard de celles du règlement ou du cahier des charges du lotissement.
Cela étant dit, la caducité dont il est question ne concerne que les rapports avec l'administration, la cahier des charges présentant une valeur contractuelle le rendant opposable aux acquéreurs successifs des lots, ce qui ressort notamment d'une jurisprudence constante (notamment d'une décision de la cour de cassation du 9 mars 2017 : « le cahier des charges d’un lotissement, quelle que soit sa date, constitue un document contractuel dont les clauses engagent les colotis entre eux pour toutes les stipulations qui y sont contenues ; qu’ayant relevé que le cahier des charges, qui était expressément mentionné dans l’acte de vente de M. et Mme Y..., n’avait pas fait l’objet de modification conventionnelle et demeurait applicable dans les rapports entre colotis et retenu, par des motifs non critiqués, que les constructions litigieuses [un bâtiment annexe et des clôtures] avaient été réalisées en méconnaissance de ses dispositions, la cour d’appel en a déduit à bon droit que les demandes de [démolition des bâtiments litigieux] devaient être accueillies »).
En ce sens, l’article L 442-9 précité du code de l'urbanisme indique d’ailleurs en son troisième alinéa que la caducité des règles d'urbanisme contenues dans les documents du lotissement « ne remettent pas en cause les droits et obligations régissant les rapports entre colotis définis dans le cahier des charges du lotissement, ni le mode de gestion des parties communes ».
Dans ce contexte, tous travaux ou aménagements réalisés en méconnaissance des règles du cahier des charges, même ayant fait l'objet d'une autorisation d'urbanisme, sont susceptibles d'être contestés devant les juridictions civiles, ce qui peut donner lieu à démolition sous astreinte et condamnation à payer des dommages et intérêts si l'existence d'un préjudice est démontrée.
Il sera rappelé ici que les autorisations d'urbanisme sont délivrées sous réserve du droit des tiers, ce qui signifie qu'en cas de méconnaissance d'une règle de nature civile une action en démolition peut être introduite devant les juridictions civiles en dépit de l'existence d'une autorisation administrative,
que les règles en cause soient de nature contractuelle comme par exemple les stipulations du cahier des charges d'un lotissement ou encore l'atteinte à une servitude de passage conventionnelle, ou qu'elles soient de nature légale comme par exemple la méconnaissance des distances de vue imposées par le code civil ou encore un empiètement sur la propriété d'autrui,
Classiquement, la démolition des ouvrages illégaux au regard des règles du cahier des charges est prononcée lorsqu'elle est sollicitée.
La jurisprudence a néanmoins évolué en suite d'une décision de la cour de cassation du 13 juillet 2022 (3e civ., n° 21-16.408 et 21-16.407), la demande tendant à la démolition d'un bâtiment réalisé en méconnaissance des règles du cahier des charges ayant été écartée en considération de « l'existence d'une disproportion manifeste entre le coût de la démolition pour le débiteur et son intérêt pour les créanciers », ce contrôle de proportionnalité étant inédit.
Dans cette affaire une société civile immobilière propriétaire d'un lot avait fait édifier un immeuble de 6 logements avec piscine et les propriétaires du lot voisin, invoquant la violation du cahier des charges du lotissement, ont assigné la SCI aux fins d'obtenir, à titre principal, la démolition des ouvrages édifiés et, subsidiairement, des dommages-intérêts.
Les requérants soutenaient notamment que le propriétaire d'un lot dans un lotissement a le droit de demander que ce qui a été fait par contravention à l'engagement contractuel résultant du cahier des charges soit détruit, indépendamment de l'existence ou de l'importance du préjudice, dès lors que, la réalisation de la violation des clauses du cahier des charges étant établie, il n'existe aucune impossibilité d'exécution de la démolition.
Ils reprochaient à la cour d'appel d'avoir considéré, pour refuser d'ordonner la démolition de la construction litigieuse que :
le juge restait libre d'apprécier si la démolition était adaptée au préjudice prouvé par la partie qui la demandait ou si une réparation indemnitaire était suffisante à réparer le dommage intégral,
la démolition (après expulsion des occupants) était en pratique impossible en ce que les six logements construits par la SCI étaient occupés,
il était totalement disproportionné de demander la destruction d'un immeuble d'habitation collective uniquement pour éviter aux propriétaires d'une villa le désagrément d'un voisinage moins bourgeois, le bâtiment en question ayant été construit dans l'esprit du règlement du lotissement et seuls les demandeurs se plaignant de cette construction qui ne leur occasionnait aucune perte de vue ou aucun vis-à-vis.
Dans ce contexte, la cour de cassation,
après avoir relevé que la cour d'appel avait constaté que, si la construction violait l'article 8 du cahier des charges du lotissement dès lors qu'elle n'était pas implantée dans un carré de trente mètres sur trente mètres, le cahier des charges, qui n'avait pas prohibé les constructions collectives, autorisait la construction d'un édifice important sur le lot acquis par la SCI et que la construction réalisée, située à l'arrière de la villa des voisins, n'occultait pas la vue dont ils bénéficiaient, l'expert sollicité dans le cadre de ce dossier étant d'avis qu'il n'en résultait pas une situation objectivement préjudiciable mais seulement un ressenti négatif en raison de la présence, en amont de leur propriété, d'un ensemble de six logements se substituant à une ancienne villa,
a jugé de la manière suivante : « Ayant retenu qu'il était totalement disproportionné de demander la démolition d'un immeuble d'habitation collective dans l'unique but d'éviter aux propriétaires d'une villa le désagrément de ce voisinage, alors que l'immeuble avait été construit dans l'esprit du règlement du lotissement et n'occasionnait aucune perte de vue ni aucun vis-à-vis, la cour d'appel, qui a fait ressortir l'existence d'une disproportion manifeste entre le coût de la démolition pour le débiteur et son intérêt pour les créanciers, a pu déduire, de ces seuls motifs, que la demande d'exécution en nature devait être rejetée et que la violation du cahier des charges devait être sanctionnée par l'allocation de dommages-intérêts ».
La SCI a néanmoins été condamnée, au regard de la faute contractuelle caractérisée par la méconnaissance du cahier des charges, au paiement de dommages et intérêts.
Le contrôle de proportionnalité ainsi opéré paraît tout à fait pertinent dans l'hypothèse concernée dès lors qu'était sollicitée la démolition d'un immeuble collectif, avec donc des conséquences importantes à la fois pour ses occupants et pour les débiteurs de l'obligation de démolir, alors que cette construction ne dérangeait pas véritablement les demandeurs.
Maintenant, il faudra attendre de voir si les demandes de démolition d'ouvrages plus modestes pourraient être rejetées également au motif d'une absence de proportionnalité ; la jurisprudence se prononcera certainement sur la question dans le futur.
La cour de cassation a également eu l'occasion de rappeler récemment la prescription opposable à l'action en démolition fondée sur la violation d'une clause du cahier des charges d'un lotissement interdisant les empiétements en surplomb sur les lots contigus (3e civ., 21 septembre 2022, n° 21-14.799).
Une association syndicale libre, constituée lors de la création d'un lotissement, avait assigné un coloti en démolition d'un bâtiment que celui-ci avait fait construire sur sa parcelle et qui, selon elle, empiétait sur un lot lui appartenant.
Il avait été fait droit à la demande en première instance et en appel.
L'arrêt d'appel était contesté par le coloti sur la base d'une argumentation fondée sur différents motifs, notamment la circonstance que, selon lui, « les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ; qu'à supposer que l'action en démolition de l'ASL ait été fondée sur le non-respect des dispositions contractuelles des documents du lotissement qui s'imposent aux colotis, alors il s'agissait d'une action personnelle se prescrivant, selon l'article 2224 du code civil, issu de la loi du 17 juin 2008, par cinq ans ; qu'en retenant que « cette contestation de propriété » était une « action réelle immobilière » se prescrivant par trente ans, la cour d'appel a violé l'article 2224 du code civil ».
La cour de cassation an néanmoins écarté le moyen de la manière qui suit :
« Ayant relevé que l'action engagée par l'ASL reprochait à M. [O] un empiétement sur le lot voisin, la cour d'appel en a exactement déduit que, tendant à obtenir la démolition d'une construction édifiée en violation d'une charge réelle grévant un lot au profit des autres lots en vertu d'une stipulation du cahier des charges du lotissement, qui interdisait tout empiétement par surplomb sur les lots contigus, celle-ci était une action réelle immobilière soumise à la prescription trentenaire de l'article 2227 du code civil ».
Elle avait déjà eu l'occasion de juger que « l'action tendant à obtenir la démolition d'une construction édifiée en violation d'une charge réelle grevant un lot au profit des autres lots en vertu d'une stipulation du cahier des charges d'un lotissement est une action réelle immobilière soumise à la prescription trentenaire » (civ. 3E, 6 avril 2022, 21-13.891).
Victor de Chanville
Avocat à Aubagne