Deux notions sont en lien dans cet article : d'une part, les règles de prospect fixées par les dispositions d'urbanisme opposables, d'autre part, les prescriptions techniques dont peut être assortie une autorisation d'urbanisme.
Le conseil d'Etat a récemment eu l'occasion de rendre une décision concernant ces deux notions qu'il me semble utile de présenter - ou rappeler - avant toute chose.
Ainsi, en ce qui concerne tout d'abord les règles de prospect, celles-ci présentent une importance déterminante en matière d'urbanisme et d'aménagement du territoire en ce qu'elles correspondent à l'implantation du bâti par rapport aux limites séparatives de propriété, mais aussi aux voies et emprises publiques ;
elles participent ainsi à modeler la forme urbaine et l'apparence du tissu urbain perçue par les utilisateurs de l'espace public, mais aussi à la gestion des rapports de voisinage par les distance séparant les bâtiments.
Leur application est donc assez stricte et ne donne en général pas lieu à une grande liberté, les juges n'ayant en outre de manière générale pas un pouvoir d'appréciation très important sur la question eu égard à la nature mathématique de la règle (les distances à respecter étant souvent chiffrées mais parfois à calculer selon le sprojet, notamment lorsque le plan local d'urbanisme prévoit – comme le règlement national d'urbanisme, et plus précisément l'article R 111-18 du code de l'urbanisme - que lorsque le bâtiment est édifié en bordure d'une voie publique, la distance comptée horizontalement de tout point de l'immeuble au point le plus proche de l'alignement opposé ou de la limite séparative doit être au moins égale à la différence d'altitude entre ces deux points).
Concernant ensuite la notion de prescription technique, l'administration dispose de la faculté d'assortir une autorisation d'urbanisme de telles prescriptions ayant pour fondement le plan local d'urbanisme ou le règlement national d'urbanisme.
Elles peuvent consister à rendre le projet plus satisfaisant ou conforme aux règles d'urbanisme opposables, et peuvent notamment résulter des avis émis par les services ou administrations ayant fait l'objet d'une consultation dans le cadre de l'instruction et la délivrance du permis de construire.
Elles ne doivent concerner que des modifications de détail du projet concerné, ce dont il résulte que des prescriptions imposant des modifications substantielles du projet ou modifiant son économie générale ne seraient pas légales.
La prescription doit ainsi présenter un caractère précis et limité tout en étant bien entendu réalisable sur le terrain : des prescriptions dont la réalisation s'avérerait impossible seraient nécessairement illégales (à titre d'illustration, le Conseil d'Etat a eu l'occasion de juger - arrêt du 1er mars 1996, n° 116820 - au sujet d'un permis de construire assorti d'une prescription relative à l'installation d'une fosse septique, que dès lors qu' « il ressort des pièces du dossier et qu'il n'est d'ailleurs pas contesté que le terrain d'assiette de la construction envisagée ne permet pas la réalisation de cette fosse septique ... le maire, en délivrant le permis de construire assorti de cette prescription, qui n'en est pas divisible, a entaché sa décision d'illégalité »).
Si au contraire la prescription présente un caractère trop conséquent, elle implique le dépôt d'une nouvelle demande car correspond à un projet nouveau.
Enfin, la prescription doit être motivée en vertu notamment des dispositions de l'article R 424-5 du code de l'urbanisme aux termes desquelles « si la décision comporte rejet de la demande, si elle est assortie de prescriptions ou s'il s'agit d'un sursis à statuer, elle doit être motivée ».
Il est néanmoins notable que la motivation peut résulter du contenu même de la prescription.
En ce sens, il a ainsi pu être jugé que « si l'arrêté [de permis de construire] litigieux ... est assorti de prescriptions relatives à l'intégration paysagère de la construction, à la configuration des berges, à l'alimentation en eau du bassin et à son entretien et au contrôle sanitaire des poissons, les motifs de cet arrêté résultent directement du contenu même desdites prescriptions » : Conseil d'Etat, 17 juin 1996, n° 108304.
La cour administrative d'appel de Nancy, dans une décision plus récente du 9 février 2012 (n° 11NC00883), a bien expliqué le principe : « les motifs de cet arrêté résultent directement du contenu même de ces prescriptions, qui ont permis au pétitionnaire de comprendre la nature des sujétions qui lui sont imposées ».
Pendant longtemps, la jurisprudence a considéré que les prescriptions techniques formaient un tout indivisible avec l'autorisation accordée, ce qui impliquait que le recours dirigé directement et seulement contre une prescription technique était irrecevable, et que l'illégalité d'une prescription pouvait entacher d'illégalité et entraîner l'annulation de l'ensemble du permis.
La jurisprudence a toutefois évolué en même temps que la réglementation et le Conseil d'Etat a de manière très claire consacré le principe de la divisibilité dans le cadre d'un considérant récapitulant les principes en vigueur en la matière, indiquant que :
« l'administration ne peut assortir une autorisation d'urbanisme de prescriptions qu'à la condition que celles-ci, entraînant des modifications sur des points précis et limités et ne nécessitant pas la présentation d'un nouveau projet, aient pour effet d'assurer la conformité des travaux projetés aux dispositions législatives et réglementaires dont l'administration est chargée d'assurer le respect ;
le titulaire d'une autorisation d'urbanisme est recevable à demander l'annulation d'une ou de plusieurs prescriptions dont celle-ci est assortie ;
il peut utilement soulever à l'appui de telles conclusions tout moyen relatif au bien-fondé des prescriptions qu'il critique ou au respect des exigences procédurales propres à leur édiction ;
que, toutefois, le juge ne peut annuler ces prescriptions, lorsqu'elles sont illégales, que s'il résulte de l'instruction qu'une telle annulation n'est pas susceptible de remettre en cause la légalité de l'autorisation d'urbanisme et qu'ainsi ces prescriptions ne forment pas avec elle un ensemble indivisible » (arrêt du 13 mars 2015, n° 358677).
Le cadre étant posé, intéressons-nous maintenant à l'arrêt du Conseil d'Etat du 5 juillet 2021 (n° 437849) combinant les deux notions, correspondant en quelques sortes à un cas particulier se présente en lien avec la constitution et les limites du terrain d'assiette du projet.
Une commune avait accordé un permis de construire un immeuble collectif de vingt-quatre logements, contesté devant le tribunal administratif par la copropriété voisine.
Le litige se rapportait à l'application de l'article 7 du règlement du plan local d'urbanisme, relatif à l'implantation des constructions par rapport aux limites séparatives, avec donc une originalité : l'arrêté accordant le permis de construire litigieux était assorti d'une réserve technique relative à la rétrocession à la métropole d'une partie de la parcelle, d'une superficie de 164 m², aux fins de la création d'un cheminement piétonnier ouvert à la circulation du public qui était donc vouée à constituer la limite du terrain d'assiette.
Autrement dit, cette cession de terrain projetée (et même imposée par le permis) aurait pour effet de modifier les limites séparatives de la parcelle destinée à supporter les immeubles projetés, ce qui conduit à s'interroger sur la limite à prendre en considération pour le calcul de la règle : ancienne limite antérieure au détachement projeté ou nouvelle limite une fois le cheminement piéton réalisé, avec pour conséquence dans un cas d'être en limite d'un autre fonds privé et dans l'autre d'être en limite de voie publique.
Il est vrai qu'une autorisation d'urbanisme doit normalement être délivrée en considération de la configuration du terrain existante à la date de sa délivrance, mais il est cependant admis depuis longtemps par la jurisprudence que certaines circonstances devant intervenir de manière certaine après la délivrance peuvent ou même doivent être prises en considération, par exemple lorsque la création d'une voirie est projetée de manière certaine.
En revanche, le juge administratif sanctionne régulièrement les manœuvres tendant à constituer un terrain d'assiette pour les besoins de l'obtention d'un permis de construire, qui serait dans un 2nd temps modifié de manière certaine et ne correspondrait plus au terrain d'assiette tel que présenté dans le dossier de demande, du fait par exemple de certaines rétrocessions.
Quoi qu'il en soit, dans le cas d'espèce jugé dans son arrêt du 5 juillet 2021, le Conseil d'Etat s'est prononcé de la manière suivante :
« Il ressort également des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'arrêté du 19 octobre 2018 du maire de Montpellier accordant le permis de construire litigieux à la SNC LNC Occitane Promotion est assorti d'une réserve technique relative à la rétrocession à la métropole de Montpellier d'une partie de la parcelle, d'une superficie de 164 m2, aux fins de la création d'un cheminement piétonnier ouvert à la circulation du public. Pour écarter le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 7 du règlement du plan local d'urbanisme applicable à la zone 2U1, relatif à l'implantation des constructions par rapport aux limites séparatives, le tribunal administratif a jugé que la conformité de l'autorisation de construire aux règles du plan local d'urbanisme devait être appréciée en prenant en considération cette prescription, ainsi que la division foncière en résultant nécessairement. En tenant compte des effets obligatoires attachés aux prescriptions assortissant une autorisation de construire pour juger que les règles d'implantation des constructions par rapport aux limites séparatives prévues à l'article 7 du règlement du plan local d'urbanisme ne trouvaient pas à s'appliquer, le tribunal administratif n'a pas commis d'erreur de droit ».
Cette solution paraît raisonnable dans la mesure où, eu égard à la teneur de la prescription technique, le cheminement devra être réalisé de manière certaine (l'absence de mise en œuvre d'une telle prescription constituant une infraction pénale) : il est par conséquent logique de prendre ce cheminement en compte.
En l'occurrence, il n'y aura pas à calculer la distance par rapport à une limite séparative mais par rapport à la voie/emprise publique constituée par le cheminement dont la réalisation est prévue par la prescription technique, la règle étant moins exigeante et permettant la réalisation du projet.
Il n'y a pas de difficulté dans la mesure où le mécanisme est clair et qu'aucune volonté frauduleuse n'es caractérisée.
Notons tout de même que le Conseil d'Etat n'a pas été convaincu par la légalité de la prescription technique et a renvoyé l'affaire devant le tribunal administratif à cet égard.
Rien ne permet en effet à la commune d'imposer une telle exigence au pétitionnaire (même si celui-ci était probablement consentant dans le cadre des arrangements habituels entre constructeurs et collectivités locales, qui accordent plus facilement les permis si le promoteur fait un « effort » lui bénéficiant, ou à la métropole en l'occurrence), d'autant moins que le Conseil constitutionnel a censuré la disposition du code de l'urbanisme qui permettait autrefois à l'autorité compétente à assortir la délivrance d'un permis de construire d'une cession gratuite.
Victor de Chanville
Avocat au Barreau de Marseille