L'article 637 du code civil définit les servitudes de la manière qui suit : « Une servitude est une charge imposée sur un héritage pour l'usage et l'utilité d'un héritage appartenant à un autre propriétaire ».
La servitude peut être résulter de la loi (par exemple la servitude de passage en cas d'enclave ou la servitude par destination du père de famille) mais aussi d'un contrat : c'est laservitude conventionnelle.
L'article 686 du code civil prévoit ainsi que :
« Il est permis aux propriétaires d'établir sur leurs propriétés, ou en faveur de leurs propriétés, telles servitudes que bon leur semble, pourvu néanmoins que les services établis ne soient imposés ni à la personne, ni en faveur de la personne, mais seulement à un fonds et pour un fonds, et pourvu que ces services n'aient d'ailleurs rien de contraire à l'ordre public.
L'usage et l'étendue des servitudes ainsi établies se règlent par le titre qui les constitue ; à défaut de titre, par les règles » du code civil.
Il est donc possible d'organiser assez librement les conditions d'exercice de la servitude (bien entendu son objet, mais aussi par exemple la prise en charge des frais d'entretien), tant que les principes généraux applicables sont respectés.
Certains principes du code civil doivent être pris en considération :
- celui auquel est due une servitude a droit de faire tous les ouvrages nécessaires pour en user et pour la conserver (article 696),
- si l'héritage pour lequel la servitude a été établie vient à être divisé, la servitude reste due pour chaque portion, sans néanmoins que la condition du fonds assujetti soit aggravée (article 700),
- celui qui a un droit de servitude ne peut en user que suivant son titre, sans pouvoir faire, ni dans le fonds qui doit la servitude, ni dans le fonds à qui elle est due, de changement qui aggrave la condition du premier (article 702).
Un autre texte pose des règles importantes et d'ailleurs à l'origine d'un contentieux abondant, l'article 701 du code civil aux termes duquel :
« Le propriétaire du fonds débiteur de la servitude ne peut rien faire qui tende à en diminuer l'usage, ou à le rendre plus incommode.
Ainsi, il ne peut changer l'état des lieux, ni transporter l'exercice de la servitude dans un endroit différent de celui où elle a été primitivement assignée.
Mais cependant, si cette assignation primitive était devenue plus onéreuse au propriétaire du fonds assujetti, ou si elle l'empêchait d'y faire des réparations avantageuses, il pourrait offrir au propriétaire de l'autre fonds un endroit aussi commode pour l'exercice de ses droits, et celui-ci ne pourrait pas le refuser ».
Autrement dit, la propriétaire du terrain qui doit la servitude ne peut pas, non seulement empêcher ou gêner l'usage de la servitude, mais encore modifier ses conditions d'exercice, par exemple (cas classique) en déplaçant sans autorisation de celui auquel la servitude est due l'assiette d'une servitude de passage.
Cet article prévoit néanmoins un mécanisme le permettant, la possibilité d'offrir à celui qui bénéficie la servitude de la déplacer à un autre endroit « aussi commode pour l'exercice de ses droits » à condition que la charge résultant de la servitude se soit aggravée au cours du temps : une telle proposition ne peut être refusée et, concrètement, un tribunal peut être saisi pour se prononcer – éventuellement après expertise judiciaire – sur la possibilité de déplacer la servitude lorsque les conditions sont remplies.
Mais, dans ce contexte, il est interdit de se faire justice à soi-même et de déplacer l'assiette de la servitude sans l'accord de son bénéficiaire.
Dans un tel cas, cette voie de fait ne permet pas l'application des dispositions de l'article 701 du code civil évoquées ci-avant : l'auteur de ces agissements sera condamné à remettre les lieux en état même si les conditions légales (endroit aussi commode et aggravation de la charge initiale) sont remplies, à titre de sanction pour n'avoir pas sollicité avant toute chose l'autorisation en justice.
La cour de cassation est ferme sur la question et l'a récemment rappelé par une décision du 10 septembre 2020 (n° 19-11.590, rendue par la 3e chambre).
Les bénéficiaires de la servitude, se prévalant d'une servitude conventionnelle de passage, avaient assigné la propriétaire du fonds servant en rétablissement de la servitude dont celle-ci avait déplacé l'assiette.
Pour accueillir la demande en déplacement de l'assiette de la servitude formé par la propriétaire du fonds servant, la cour d'appel avait retenu,
d'une part, que l'état des lieux initial n'a nullement été modifié mais que seule fait défaut aux propriétaires du fonds dominant la possession des clefs des portails qui leur permettrait d'exercer le droit de passage sur son assiette convenue,
d'autre part, que l'assignation primitive de la servitude est devenue plus onéreuse en raison d'une multiplication des passages et que la nouvelle assiette présente autant de commodités que l'ancienne, conformément aux conditions posées par l'article 701 du code civil évoqué ci-avant.
La cour de cassation a censuré logiquement cette décision en indiquant que :
« En statuant ainsi, tout en constatant que [la propriétaire du fonds servant], en reprenant la possession exclusive des lieux, avait privé [les bénéficiaires de la servitude], sans leur accord préalable, de l'usage de la servitude établie en faveur de leur fonds, alors que le propriétaire d'un fonds servant qui modifie à son avantage l'état des lieux de la servitude ne peut invoquer l'article 701, alinéa 3, du code civil, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé le texte susvisé ».
Victor de Chanville
Avocat à Aubagne