Aux termes de l'article 637 du code civil, une servitude est une charge imposée sur un héritage pour l'usage et l'utilité d'un héritage appartenant à un autre propriétaire (le terme « héritage » visant ici un terrain).
Elle dérive soit de la situation naturelle des lieux, soit des obligations imposées par la loi, soit des conventions entre les propriétaires (article 638) : autrement dit, il existe des servitudes légales qui s'imposent au regard d'une situation factuelle sans que les personnes concernées n'aient véritablement le choix, par exemple la servitude de passage en cas d'enclave, mais également des servitudes conventionnelles.
Dans ce dernier cas, les parties prévoient dans le cadre d'un contrat, à l'occasion d'une vente, d'un projet de construction ou d'une division parcellaire par exemple, un aménagement de leurs relations de voisinage sur leurs biens.
Le terrain de celui qui doit la servitude est qualifié de "fonds servant" et celui du bénéficiaire est désigné comme "fonds dominant".
Evidemment, la servitude de passage est probablement la plus courante, mais de nombreuses déclinaisons existent (par exemple servitude non aedificandi : interdiction de construire ; servitude non altius tollendi : limitation de la hauteur des constructions ; servitude de cour commune, qui peut regrouper les deux précédentes).
L'article 686 du code civil dispose dans ce contexte que : « il est permis aux propriétaires d'établir sur leurs propriétés, ou en faveur de leurs propriétés, telles servitudes que bon leur semble, pourvu néanmoins que les services établis ne soient imposés ni à la personne, ni en faveur de la personne, mais seulement à un fonds et pour un fonds, et pourvu que ces services n'aient d'ailleurs rien de contraire à l'ordre public.
L'usage et l'étendue des servitudes ainsi établies se règlent par le titre qui les constitue ; à défaut de titre, par les règles ci-après ».
Au-delà des diverses nuances et difficultés pouvant exister, des mécanismes juridiques corrélatifs, de l'interprétation des actes de servitude, de l'extinction des servitudes ou de l'impossibilité d'en user, parfois des questions plus simples et concrètes donnent lieu à l'introduction d'actions en justice et même à des décisions de la Cour de cassation.
Ainsi, cette juridiction, par un arrêt du 4 juillet 2019 (n° 18-16137), s'est prononcée sur la question des droits du propriétaire du fonds servant sur l'assiette de la servitude de passage.
Autrement dit, elle répond à la question suivante : est-ce que le propriétaire d'un terrain grevé d'une servitude de passage conserve le droit d'user de l'assiette de celle-ci ?
Les propriétaires d'une parcelle bâtie grevée d'une servitude conventionnelle de passage au profit d'un fonds voisin se prévalaient ainsi du trouble causé, notamment, par le stationnement de véhicules des propriétaires du fonds dominant (bénéficiant donc de la servitude) sur le passage, rendant difficile l'accès à leur maison.
Ils les ont donc assignés en suppression de tout obstacle au libre exercice de la servitude.
La Cour de cassation se prononce sur la question de la manière qui suit :
« Attendu que, pour dire n'y avoir lieu à référé faute de trouble manifestement illicite, l'arrêt retient que M. et Mme M... ne sont pas bénéficiaires d'une servitude de passage et qu'en leur qualité de propriétaires du fonds servant, ils sont seuls tenus de laisser libre le passage sur leur propriété ;
Qu'en se déterminant ainsi, alors que le propriétaire d'un fonds grevé d'une servitude de passage conserve le droit d'user de l'assiette de celle-ci, la cour d'appel, qui n'a pas recherché si le titre de servitude n'interdisait pas au propriétaire du fonds dominant de stationner sur le passage, n'a pas donné de base légale à sa décision ».
Formulé différemment, il en ressort que tout propriétaire d'un terrain grevé d'une servitude de passage conserve le droit d'user de l'assiette de la servitude, sauf si l'acte constitutif de servitude prévoit le contraire (la liberté contractuelle étant importante en la matière).
Il est donc interdit au bénéficiaire de la servitude d'empêcher cet usage : à défaut un trouble manifestement illicite sera caractérisé qui pourra être sanctionné en justice, notamment dans le cas d'une procédure de référé.
Victor de Chanville
Avocat à Aubagne
Victor de Chanville
Avocat au Barreau de Marseille