Dans le cadre d'un emprunt, le prêteur, à savoir la banque, est tenu d'un devoir de mise en garde de l'acquéreur novice (non averti, n'ayant pas de connaissances particulières en la matière), dans le cas notamment où le prêt n’est pas adapté aux capacités financières de l’emprunteur et comporte un risque d’endettement.
En cas de manquement, l'organisme prêteur peut engager sa responsabilité.
Comme pour toute action en justice, l'action correspondante est soumise à un délai, que la cour de cassation a rappelé dans un arrêt du 11 mars 2023 (n° 21-20.260).
Dans cette affaire, les emprunteurs reprochaient à la cour d'appel d'avoir déclaré irrecevables comme prescrites leurs demandes fondées sur le manquement de la banque à son devoir de mise en garde, alors que, selon eux:
- l'action en responsabilité contre la banque pour manquement à son devoir de mise en garde se prescrit à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime,
- le dommage résultant d'un manquement à l'obligation de mise en garde, consistant en la perte d'une chance de ne pas contracter, se manifeste dès la souscription du prêt, sauf à ce que l'emprunteur ait pu légitimement ignorer le dommage lors de cette souscription,
- dès lors, c'est à tort que la cour d'appel a considéré, pour déclarer prescrite les demandes fondées sur le manquement de la banque à son devoir de mise en garde,
qu'il ne pouvait être retenu que celle-ci était débitrice d'un nouveau devoir de mise en garde au titre de la suppression d'un taux plancher intervenue plus de sept et huit ans après la conclusion des prêts litigieux, et que le fait pour l'emprunteur de perdre son emploi en Suisse n'était pas de nature à générer un nouveau devoir de mise en garde à la charge du prêteur,
alors qu'il appartenait à l'organisme prêteur de mettre en garde les emprunteurs sur d'éventuels changements de politique de la Banque centrale suisse sur le taux plancher, ainsi que sur les conséquences de l'éventualité, également, d'un changement dans leur situation en cas d'absence de revenus en francs suisses, de sorte que ces événements étaient de nature à retarder le point de départ de la prescription.
La cour de cassation, se fondant sur les dispositions de l'article 2224 du code civil aux termes desquelles « les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer », a jugé que:
« Il résulte de ce texte que l'action en responsabilité de l'emprunteur non averti à l'encontre du prêteur au titre d'un manquement à son devoir de mise en garde se prescrit par cinq ans à compter du jour du premier incident de paiement, permettant à l'emprunteur d'appréhender l'existence et les conséquences éventuelles d'un tel manquement ».
Dès lors, elle a estimé que la cour d'appel,
en déclarant prescrite la demande de dommages-intérêts au motif selon elle que le dommage résultant d'un manquement au devoir de mise en garde se manifeste dès l'octroi du crédit et que la demande était donc prescrite en l'occurrence,
a violé les dispositions du code civil rappelées ci-avant et, par voie de conséquence, l'arrêt a été annulé en cassation.
Le princicipe a fait l'objet de décisions ultérieures.
Ainsi, par un arrêt du 8 novembre 2023 (n° 22-13.191), la cour de cassation a ainsi jugé, au visa des articles 2224 du code civil et l'article L. 110-4 du code de commerce que:
- Il résulte de la combinaison de ces textes que les obligations entre commerçants et non-commerçants se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
- Le manquement d'une banque à son obligation de mettre en garde un emprunteur non averti sur le risque d'endettement excessif né de l'octroi d'un prêt prive cet emprunteur d'une chance d'éviter le risque qui s'est réalisé, la réalisation de ce risque supposant que l'emprunteur ne soit pas en mesure de faire face au paiement des sommes exigibles au titre du prêt. Il en résulte que le délai de prescription de l'action en indemnisation d'un tel dommage commence à courir, non à la date de conclusion du contrat de prêt, mais à la date d'exigibilité des sommes au paiement desquelles l'emprunteur n'est pas en mesure de faire face.
- Pour déclarer prescrite l'action del'emprunteur, l'arrêt de la cour d'appel énonce que le préjudice né du manquement d'un établissement de crédit à son obligation de mise en garde, qui s'analyse en une perte de chance de ne pas contracter, est censé, s'agissant des prêts amortissables, survenir à la date de conclusion du contrat, de sorte que c'est à cette date que la prescription commence à courir, sauf à ce que l'emprunteur prouve qu'il pouvait légitimement ignorer la prise de risque qu'il prétend disproportionnée. Il en déduit que, l'emprunteur ne rapportant pas cette preuve, le délai de prescription de son action a commencé à courir à la date du contrat de prêt, soit le 22 juillet 2009, et que cette action était prescrite lorsqu'il a assigné la banque, le 27 janvier 2015, soit plus de cinq ans après.
- En se déterminant ainsi, sans rechercher la date d'exigibilité des sommes au paiement desquelles l'emprunteur n'était pas en mesure de faire face, qui constituait le point de départ de la prescription de son action en responsabilité contre la banque, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
En revanche, le principe a été écarté par une autre décision du 20 septembre 2023 (n° 22-17.873) aux termes de laquelle:
- Le manquement d'une banque à son obligation de mettre en garde un emprunteur non averti sur le risque d'endettement excessif né de l'octroi d'un prêt prive cet emprunteur d'une chance d'éviter le risque qui s'est réalisé, la réalisation de ce risque supposant que l'emprunteur ne soit pas en mesure de faire face au paiement des sommes exigibles au titre du prêt.
- L'arrêt relève, par motifs propres et adoptés, que la banque a prononcé la déchéance du terme des trois prêts accordés aux emprunteurs en raison des incidents de paiement les ayant affectés et, le 17 janvier 2012, a mis en demeure les emprunteurs de régler l'intégralité des sommes dues au titre de ces prêts.
- Il en résulte qu'à la supposer avérée, les emprunteurs avaient connaissance, au plus tard le 17 janvier 2012, de leur incapacité à faire face au paiement des sommes devenues exigibles au titre des prêts, de sorte que le délai de prescription de leur action en réparation du dommage résultant d'un manquement de la banque à son obligation de les mettre en garde sur la réalisation d'un tel risque, seule mise en garde qu'elle était susceptible de leur devoir lors de la souscription du prêt, a commencé à courir à cette même date, peu important que des pourparlers aient ensuite conduit la banque à renoncer à une partie de sa créance.
Il est notable que des solutions plus ou moins similaires similaires existent en matière de devoir de conseil du vendeur en matière de vente immobilière.
Victor de CHANVILLE
Avocat à Aubagne