La question s'est posée récemment au Conseil d'Etat de savoir si un sursis à statuer pouvait être opposé par l'administration à une demande de permis de construire déposée dans un lotissement.
Rappelons la notion de sursis à statuer prévue par l'article L 424-1 du code de l'urbanisme, pouvant être définie comme une mesure de sauvegarde permettant à l'administration de différer, pendant un certain temps, la décision qu'elle doit prendre sur une demande d'autorisation d'urbanisme qui, si elle est accordée, pourrait au regard des caractéristiques du projet créer une situation incompatible avec l'évolution prévisible du document d'urbanisme applicable notamment.
Le sursis est le plus souvent justifié par l'élaboration en cours d'un plan local d'urbanisme, mais l'article L 424-1 du code de l'urbanisme prévoit un certain nombre d'hypothèses distinctes, notamment l'ouverture de l'enquête préalable à une déclaration d'utilité publique, un projet de travaux publics, certaines opérations d'aménagement, ou encore la création d'un parc national.
Autrement dit, l'autorisation d'urbanisme méconnaîtrait de manière très probable le futur document d'urbanisme en cours d'élaboration à la date de la décision ou irait à l'encontre des projets ou événements visés par le code de l'urbanisme, ce qui justifie que la décision à prendre sur la demande soit différée dans l'attente que la difficulté soit confirmée ou infirmée.
Bien entendu, la légalité du sursis à statuer est contrôlée et sa légalité est subordonnée au respect de certains principes par l'administration.
S'agissant du sursis à statuer justifié par l'élaboration d'un plan local d'urbanisme, l'atteinte potentielle à l'exécution du futur document doit être caractérisée et justifiée, une simple incompatibilité étant insuffisante.
Pour se déterminer sur la question, l'importance du projet est bien entendue prise en compte : plus il est conséquent plus l'atteinte au futur plan est susceptible d'être caractérisée.
La question de l'état d'avancement du PLU constitue une limite importante.
La jurisprudence subordonne ainsi la légalité de la décision de sursis à statuer à l'état suffisamment avancé des travaux d'élaboration ou de révision du plan local d'urbanisme, condition indispensable pour pouvoir apprécier les effets du projet sur la mise en œuvre du futur document.
Le plan d'aménagement et de développement durable (PADD) du PLU constitue bien souvent l'élément central autour duquel s'articule l'appréciation de la légalité du sursis à statuer : c'est la date du débat sur les orientations du PADD qui a été retenue pour caractériser l'état d'avancement suffisant du plan, même s'il n'est pas exigé que ses orientations soient entièrement formalisées ;
l'article L 151-13 du code de l'urbanisme indique ainsi : « L'autorité compétente peut décider de surseoir à statuer, dans les conditions et délai prévus à l'article L. 424-1, sur les demandes d'autorisation concernant des constructions, installations ou opérations qui seraient de nature à compromettre ou à rendre plus onéreuse l'exécution du futur plan dès lors qu'a eu lieu le débat sur les orientations générales du projet d'aménagement et de développement durable ».
Cela dit, il est en général requis que d'autres documents du futur PLU aient été élaborés en parallèle pour que l'état d'avancement soit considéré suffisant (projet de règlement, cartes détaillées des zones à venir, schémas indicatifs des futurs zonage et règlement du PLU, etc).
Pour revenir à l'objet de l'article, il est nécessaire d'évoquer une spécificité du régime des lotissements : la « cristallisation » pendant 5 ans des règles d'urbanismes applicables, dont l'évolution ne peut sauf exception être opposée aux demandes d'autorisation d'urbanisme déposées sur un lot dans ce délai.
En ce sens, l'article L 442-14 du code de l'urbanisme prévoit que :
« Lorsque le lotissement a fait l'objet d'une déclaration préalable, le permis de construire ne peut être refusé ou assorti de prescriptions spéciales sur le fondement de dispositions d'urbanisme nouvelles intervenues depuis la date de non-opposition à la déclaration préalable, et ce pendant cinq ans à compter de cette même date.
Lorsque le lotissement a fait l'objet d'un permis d'aménager, le permis de construire ne peut être refusé ou assorti de prescriptions spéciales sur le fondement de dispositions d'urbanisme nouvelles intervenues depuis la date de délivrance du permis d'aménager, et ce pendant cinq ans à compter de l'achèvement des travaux constaté dans les conditions prévues par décret en Conseil d'Etat ».
Cela permet au pétitionnaire (bénéficiaire de l'autorisation d'urbanisme) mais aussi au lotisseur de disposer d'une sécurité juridique appréciable en garantissant quasiment (il existe des exceptions notamment en terme de sécurité publique) le maintien des règles en vigueur à la date d'approbation du lotissement (rappel étant fait que le lotissement est créé à partir du détachement d'au moins un lot à bâtir).
Ce qui va nous conduire à nous interroger sur la possibilité d'opposer un sursis à statuer à une demande d'autorisation d'urbanisme déposée au sein d'un lotissement dans le délai de 5 ans pendant lequel les règles applicables sont « cristallisés » au profit du pétitionnaire, concernant les constructions, installations ou opérations qui seraient de nature à compromettre ou à rendre plus onéreuse l'exécution du futur plan dès lors qu'a eu lieu le débat sur les orientations générales du projet d'aménagement et de développement durables.
Le Conseil d'État s'est prononcé sur la question par une décision du 31 janvier 2022 (n° 449496).
Dans cette affaire, le maire ne s'était pas opposé à une déclaration préalable de lotissement pour la division d'un terrain puis avait délivré un permis de construire une maison individuelle et une piscine sur une parcelle issue de cette division dans le délai de 5 ans pendant lequel les règles d'urbanisme applicables sont « cristallisées ».
Le permis a été attaqué par des voisins devant le tribunal administratif, qui a fait droit à la demande tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de ce permis de construire au motif que, le projet autorisé étant de nature à compromettre et à rendre plus onéreux l'exécution du plan local d'urbanisme en cours d'élaboration, le maire avait commis une erreur manifeste d'appréciation en n'opposant par un sursis à statuer à la demande de permis de construire.
Le jugement ayant été contesté, le Conseil d'Etat a dû se prononcer sur la question et, sans surprise, a jugé après avoir rappelé les dispositions applicables que nous avons analysées dans les développements qui précèdent, que :
« Il résulte de l'article L. 442-14 du code de l'urbanisme que l'autorité compétente ne peut légalement surseoir à statuer, sur le fondement de l'article L. 424-1 du même code, sur une demande de permis de construire présentée dans les cinq ans suivant une décision de non-opposition à la déclaration préalable de lotissement au motif que la réalisation du projet de construction serait de nature à compromettre ou à rendre plus onéreuse l'exécution du futur plan local d'urbanisme ».
Le jugement querellé du tribunal administratif a par voie de conséquence été annulé.
Le tribunal semble avoir commis une confusion avec les règles applicables en matière de certificat d'urbanisme, lequel a également pour effet la cristallisation des règles d'urbanisme applicables au terrain concerné pendant une certaine durée, mais ne fait pas obstacle à ce qu'il soit opposé une décision de sursis à statuer à une demande d'autorisation d'urbanisme formée dans son délai de validité (même si le certificat ne fait pas mention de cette possibilité d'ailleurs,en dépit des dispositions de l'article L. 410-1 du code de l'urbanisme y obligeant en principe).
Le jugement est néanmoins entaché d'une erreur en regard, notamment, de la double distinction à opérer entre les régimes applicables au lotissement et au certificat d'urbanisme :
â–ª d'une part, en dépit de l'effet de cristallisation de la règle d'urbanisme, l'article L. 410-1 du code de l'urbanisme relatif au certificat d'urbanisme prévoit expressément la possibilité d'un sursis à statuer :
« Lorsque le projet est soumis à avis ou accord d'un service de l'Etat, les certificats d'urbanisme le mentionnent expressément. Il en est de même lorsqu'un sursis à statuer serait opposable à une déclaration préalable ou à une demande de permis. Le certificat d'urbanisme précise alors expressément laquelle ou lesquelles des circonstances prévues aux deuxième à sixième alinéas de l'article L. 424-1 permettraient d'opposer le sursis à statuer » ;
â–ª d'autre part, contrairement à l'autorisation de lotir le certificat d'urbanisme ne vaut pas autorisation d'urbanisme et il est bien évident que les autorisations doivent pouvoir produire l'ensemble des effets utiles attendus : il n'y aurait aucun sens – sauf situations particulières – à empêcher de construire au sein d'un lotissement autorisé, l'insécurité juridique qui résulterait d'une telle logique allant au demeurant à l'encontre des politiques d'urbanisme actuelles, favorisant la production de logements.
Pour terminer, notons tout de même que le sursis à statuer n'est pas entièrement exclu en matière de lotissement, mais que le cas échéant il doit être opposé au moment idoine, à savoir au stade de l'instruction de l'autorisation de lotir, ce qui est autorisé par la loi, l'article L 153-11 du code de l'urbanisme disposant que « L'autorité compétente peut décider de surseoir à statuer ... sur les demandes d'autorisation concernant des ... opérations qui seraient de nature à compromettre ou à rendre plus onéreuse l'exécution du futur plan dès lors qu'a eu lieu le débat sur les orientations générales du projet d'aménagement et de développement durable ».
Dans un tel cas, même si le lotissement dont la réalisation est demandée ne créera pas en tant que telles de difficultés au regard des futures règles applicables – puisque en pratique les aménagements opérés préalablement à la délivrance des permis de construire ne sont pas nécessairement d'une grande importance, notamment lorsqu'il n'y a pas de voies et équipements communs aux différents lots – il préfigure des atteintes plus conséquentes dès lors que des constructions y seront édifiées, d'où la nécessité parfois d'anticiper de telles situations puisque, comme nous l'avons remarqué ci-acvant, une fois le lotissement autorisé tout sursis à statuer est exclu.
Victor de Chanville
Avocat au Barreau de Marseille