Le mécanisme juridique des troubles anormaux de voisinage permet de se protéger des troubles de voisinage excédant les inconvénients normaux que chacun est tenu d'accepter au titre de la vie en collectivité et de la liberté individuelle des autres citoyens.
En effet, lorsque le trouble excède ce qui est acceptable, il peut être sanctionné en justice même si aucune faute n'a été commise, le caractère excessif étant apprécié selon les circonstance, le lieu, etc.
La sanction pourra consister en une condamnation à mettre un terme au trouble et/ou au paiement de dommages et intérêts.
Un tel trouble anormal peut se traduire par diverses nuisances, sonores ou olfactives par exemple, souvent en provenance d'une entreprise ou d'une industrie, mais est parfois causé par un bâtiment (en lui-même, indépendamment des nuisances éventuellement causées pendant les travaux de construction).
Ainsi, par exemple, l'édification d'un immeuble de logements collectifs à proximité immédiate d'une propriété privée peut être concernée selon les nuisances causées aux propriétés voisines.
Il est notable que cela peut donner lieu à l'engagement de la responsabilité du constructeur même si un permis de construire a régulièrement été accordé (nous sommes ainsi dans le cadre de la fameuse « réserve du droit des tiers » : les autorisations d'urbanisme sont accordées en vertu des règles administratives d'urbanisme mais sous réserve de l'application des règles de droit civil, relatives par exemple à l'empiétement, l'absence de respect de servitudes ou encore le trouble anormal de voisinage).
La Cour de cassation, par un arrêt du 07/11/2019 (n° 18-17267), récapitule bien les critères habituellement retenus pour sanctionner un tel trouble dans le cas de l'édification d'un immeuble collectif au sein d'un quartier pavillonnaire :
« attendu qu'ayant souverainement relevé, sans dénaturation, qu'il résultait des pièces produites, notamment du pré-rapport établi par M. X... à l'occasion du référé préventif et des photographies annexées au procès-verbal de constat d'huissier de justice du 24 avril 2013, que le pavillon, de facture classique, de M. et Mme K..., était, à présent, mitoyen d'un immeuble collectif de quatre étages qui le dominait de toute sa hauteur et dont huit balcons donnaient sur leur fonds de manière directe ou latérale, que l'ombre portée par cet immeuble privait leur maison et leur jardin de vue, de lumière et d'ensoleillement de façon anormalement importante, même dans un milieu urbain ou en voie d'urbanisation comme celui de [...], que cette proximité créait une promiscuité désagréable et provoquait une moins-value importante de leur propriété en raison de ce voisinage d'un bâtiment d'une architecture moderne et disparate, situé à trop grande proximité de leur propriété, la cour d'appel a pu condamner la SCI à leur payer la somme de 80 000 euros de dommages-intérêts au titre du trouble anormal de voisinage ».
Ainsi, la création de vues sur le fonds des requérants (8 balcons tout de même) associée à une perte de vue, de lumière et d'ensoleillement anormalement importante même en milieu urbain a pu être sanctionnée ; la référence à l'importance anormale du trouble « même dans un milieu urbain » est intéressante puisque, de manière générale, la jurisprudence estime que dans un tel milieu il n'y a pas de droit acquis à bénéficier ou conserver vue, luminosité ou ensoleillement.
Victor de Chanville
Avocat à Aubagne